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RP 2016-1 Situation vs Tâche, Transposition état vs Processus

Vendredi 11 mars 2016   

RP 2016-1

Mars 2016

Situation vs Tâche, Transposition état vs Processus
ComplĂ©mentaritĂ© et incompatibilitĂ© locale de deux approches scientifiques (TSD et TAD) d’un mĂŞme phĂ©nomène.

1    Certains textes convoquent sans précautions des termes empruntés à des théories différentes sans voir les contre sens que crée leur désinvolture. D’autres peut être pour ne pas tomber dans ce premier défaut, s’interdisent d’examiner certaines questions pour ne pas avoir à confronter leur approche unique aux questions et aux objections d’une autre. Il est vrai que les développements de la TSD et de la TAD rendent difficiles aux débutants l’exploration simultanées de leurs frontières et qu’il vaut mieux pour eux ne pas se hasarder à improviser un mariage douteux entre Relativité générale et Mécanique quantique sur un phénomène mal connu.

Par chance, chacune offre des possibilités d’exploration aux audacieux.

En préparation depuis 1963, la TSDM (mathématique) se déclare en 1970. Elle se place dans une perspective épistémologique ET EXPERIMENTALE : dans quelles conditions se produit l’acculturation d’une population à telle ou telle connaissance de la communauté mathématique ? La TAD émerge quelques années plus tard (au tout début des années 80, comme une bifurcation dans le développement des recherches de la même équipe scientifique (Yves Chevallard et moi avons collaboré pendant plusieurs années avant et après  la dite bifurcation).

2  La TSD part de l’observation des classes pour remonter directement aux concepts mathématiques possibles de l’objet de l’enseignement envisagé. Ainsi  la transposition qu’elle crée est un état, un résultat déterminé par la situation.

La TAD observe la même chaîne dans la direction contraire : elle décrit les transformations successives opérées par les institutions d’enseignement à partir des textes de Mathématiques afin de les accommoder aux intentions des systèmes éducatifs. Dans ce cas la transposition est un processus qui se décline en 4 fonctions (Tâches, Techniques, Technologies, Théories). Il faut décrire et comprendre leurs traits, caractères, etc. à la façon des anthropologues (structuralistes).  La TAD se place donc dans une perspective tout aussi scientifique et technique que la TSD.

3 La TAD décrit comment la communauté mathématique et ses enseignants transposent eux- mêmes (adaptent-ils ? serait-ce à leur insu ?) les textes mathématiques et pourquoi ? Certains éléments sont nécessairement pris en charge aussi par la TSD (et réciproquement) mais dans des perspectives différentes.

La transposition didactique commence avec les premières diffusions et réorganisations de la démonstration initiale, celle qui a convaincu les premiers lecteurs décisifs, que la conjecture était résolue.  Pour éviter les  malentendus et les erreurs, à chaque étape de la diffusion, le texte est reconstruit et traduit, afin de faciliter sa lecture et son utilisation, des concepts et des termes spécifiques différents sont introduits dans des approches diverses pour des objets apparemment communs, mais parfois, dans des approches naïves, seulement similaires.

Mais ils sont distincts par leur définition et leur référent. Et cela restera ainsi jusqu’au moment ou la compatibilité entre les concepts sera établie par des références communes aux mêmes faits.

La TAD décrit l’institutionnalisation et ses moyens. Ces derniers sont pour l’instant plutôt dogmatiques, car la diffusion des mathématiques se fait par « Le Texte ». Certains lecteurs inattentifs ou malveillants retournent alors ce caractère de l’objet étudié – l’enseignement – pour qualifier (ou plutôt disqualifier) ceux qui le décrivent. Parce qu’elle étudie un dogmatisme, la TAD et ses auteurs seraient, eux-aussi, dogmatiques…

La TSD, elle, décrit des situations d’apprentissage réalisables, qui portent  des idées séduisantes. A ce titre elle semble échapper à cette « opprobre », mais c’est pour tomber dans le piège opposé : puisque ces expériences ont été réalisées « avec succès », c’est qu’elles sont des modèles à imiter et à développer au plus tôt dans tout l’enseignement ! Cette méprise est pire que la première. Nous avons beau signaler « qu’elles sont inapplicables et seulement dédiées à des recherches sur des questions scientifiques, lesquelles apporteront peut-être une meilleure compréhension, laquelle apportera probablement de vraies améliorations le moment venu »… ces précautions annulent totalement le charme.

La notion de « situation » est difficile à définir et à utiliser à la fois pour les enseignants et pour les mathématiciens, car ces derniers conçoivent et décrivent leur travail comme une planification de tâches à exécuter  et à vérifier.

Une leçon a donc deux faces tout à fait différentes :

-          La notion de « tâche à accomplir (par l’élève et par le professeur). Elle ignore, dans un premier temps, les questions relatives au « si », au « pourquoi » et au « comment », en particulier pour les élèves.

-          La notion de « situation » ignore dans un premier temps les détails et les raisons de la transposition didactique ou de la culture psychopédagogique, pour s’interroger sur les « pourquoi » mathématiques (immédiats ou lointains) sur lesquels se construisent les réactions et la pensée d’un groupe d’élèves (et non pas « de l’ » élève) et sur celle « du » professeur (et non pas « des » professeurs), comme instruments d’une volonté commune d’acculturation[1].

Il est fréquent que des étudiants croient améliorer leur étude de ce qui leur apparait comme un seul et même objet d’observation, en « conjuguant » les concepts des deux approches. C’est imprudent, car très vite les méprises et les contradictions apparaissent aussi.

La prudence scientifique consisterait à continuer à distinguer et séparer les « objets d’étude » suivant les instruments théoriques typiques de chaque approche, comme il a fallu le faire avec les théories corpusculaires et ondulatoire de la lumière, tant que leurs relations n’étaient pas scientifiquement élucidées.


[1] Il ne s’agit pas d’un jeu grammatical, mais de signaler l’importance de recentrer l’analyse sur l’objet de l’étude en Didactique (la classe). Les expressions « l’élève » et « les professeurs » détourneraient l’analyse, respectivement, vers la psychologie et la sociologie de l’éducation.