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Dossier n°7 . Premiers pas de la Didactique 1970: 1. Les Parties d’un ensemble

Lundi 20 juin 2011   

Dossier n° 7

Les premiers pas de la Didactique

1. Les « parties d’un ensemble » à l’école 1970

Présentation des dossiers 7 et 8

Les dossiers 7 et 8 visent à rappeler quelques uns des problèmes soulevés par l’utilisation du concept d’« ensemble », comme moyen d’expression, comme moyen d’étude (de la logique par exemple) et comme objet d’enseignement à l’école primaire et au collège. Ils ne sont pas composés d’articles mais de documents de Travail. Nous avons écarté les cours de mathématiques proprement dit.

Ils rassemblent donc quelques documents de travail typiques, choisis parmi ceux diffusés par l’IREM de Bordeaux entre 1970 et 1974 à l’intention des enseignants du primaire et de leurs formateurs. Chacun présente l’exposé d’une question de mathématique et conjugue une partie sous une forme quasi mathématique, accompagné de remarques destinées plutôt aux formateurs qu’aux enseignants, et le plus souvent écrites dans un langage plus ou moins imagé bien que destiné à des lecteurs adultes et évoquant éventuellement des activités d’élèves. L’usage de ce vocabulaire par des élèves (de niveau plus ou moins détermine) est envisagé à propos de situations évoquées et discuté de façon sporadique mais spécifique. .

Des notions de linguistique, de logique, de psychologie, de pédagogie ou d’autres plus ou moins connues de l’auditoire, surgissent à l’occasion d’une façon qui semble incongrue auprès des uns ou des autres. La complexité de la cible rend ces textes illisibles pour la plupart des auditoires (ils n’ont pas été publiés et pourtant ils ont été très répandus.

Nous avons choisi ces textes pour faire voir l’évolution rapide des conceptions relatives à l’enseignement de ces questions sous l’effet des recherches, des observations et des expérimentations.

Le dossier 8 est plus précisément consacré à montrer que dès sa création l’IREM a mis à l’étude l’emploi des diagrammes (de type Venn ou autres). Il en a signalé les difficultés et les dangers. Puis il les a proscrits comme modèles explicites de la logique et comme objet d’enseignement. Les inconvénients ne peuvent pas être écartés si ces diagrammes sont considérés comme l’objet d’un enseignement classique (avec description dénomination, explications etc.) car le modèle est faux et conduit alors à des phénomènes dénommés quelques années plus tard « glissement méta ».

L’utilisation des diagrammes n’est possible que comme moyen non verbal (comme connaissance) dans des situations d’action. Cette possibilité est démontrée dans ce dossier. Voir « P(E) la leçon », l’expérience d’une situation qui conduit rapidement des élèves de CM2 à utiliser le formalisme de l’algèbre de Boole.

L’évolution a été rapide tous ces textes ont été publiés en 1970.

Composition du dossier 7

Le dossier 7 est centré sur des documents de travail de présentation de la notion d’ensemble

(dans le sens précis de l’algèbre de Boole). Le lecteur peut observer l’évolution des questions étudiées, des choix de questions et les étapes de la mise au point d’une expérience qui permet de démontrer que les élèves peuvent comprendre et utiliser correctement le formalisme de l’algèbre des parties d’un ensemble en deux ou trois leçons au cours moyen

a) « Les ensembles » [FM1970, ch2, (15p)],

b) la désignation des parties d’un ensemble [FM1970 ch 7  (19 p)],

c) Langages [EEM n°9,  1971],

d) « P(E) les leçons » [EEM n°14 1973 , (30p)].

Ils sont accompagnés de commentaires actuels :

a) Sur l’observation et sur les étapes qui ont précédé la constitution du COREM (1970-1972). (Les premiers apports des expérimentations se distinguent clairement dans l’évolution des textes)

b) Sur les mathématiques modernes

c) Sur la formation des instituteurs (enseigner le texte du savoir ou son objet ?)

d) Sur la réforme des mathématiques modernes

Les documents du dossier  « Les parties d’un ensemble »

Document a «  Les Ensembles, Désignation »

Présentation de la notion d’ensemble en 1970. Ce document (15p) est le chapitre 2 de l’ouvrage : Guy Brousseau « Mathématiques pour l’enseignement élémentaire »  Formation des maîtres, tome 1, IREM de Bordeaux 1970-71

Résumé

Les ensembles à l’école : Comment est constitué un ensemble ? Quelles sont les conditions les plus habituelles de l’emploi de ce terme en mathématiques. Quelles précautions faut-il prendre ? Comment les constituer, comment les définir, comment les désigner verbalement ou par un dessin Quels procédés pédagogiques peut-on envisager pour introduire la désignation des objets et des ensembles, usage de codes, ensembles disjoints. Réflexions pédagogiques.

Le professeur veut introduire un premier lot de connaissances de logique et de méta connaissances de référence, de nature logique dans son cours. Il doit rendre possible la compréhension « concrète » des propriétés dont il veut banaliser l’usage.

Ce document signale de façon un peu abrupte les problèmes, entre autres linguistiques, sémiologiques et pédagogiques que pose l’introduction naïve du terme « ensemble » dans le vocabulaire des élèves.

Le lecteur y trouvera ici l’origine de nombre de textes plus spécialisés et l’esquisse de situations fondamentales sur ce sujet  dont l’étude sera développée ultérieurement

Commentaire

Ce texte pose des questions, signale des difficultés, propose des modes d’approche. Il introduit les quelques 17 autres documents réunis dans cet ouvrage qui n’était qu’une image de l’activité de formation et de réflexion, et une esquisse d’un ouvrage à venir.

Cet ouvrage ne sera jamais achevé car jamais le pseudo équilibre rassurant que permettait une doxa didactique fondée sur une culture commune ne sera atteinte. Plus les recherches se faisaient sérieuses, plus les difficultés résolues ou seulement repérées devenaient nombreuses, et plus il devenait difficile de tenir à la fois le rôle rassurant de référence scientifique et le rôle de chercheurs, même débutants dans ce domaine vierge. Nous étions un peu comme des médecins qui attendraient la fin de la science médicale pour pouvoir intervenir auprès des malades, et qui la nourrirait sans cesse de découvertes de maladies et de soins.

Lire ou télécharger le document Les Ensembles, désignation 1970

Document b. « Désignation des parties d’un ensemble »

Ce document (19 pages) est le chapitre 7 de l’ouvrage Guy Brousseau « Mathématiques pour l’enseignement élémentaire »  Formation des maîtres, tome 1    IREM de Bordeaux 1970-71

(p. 68 Ă  86)

Résumé Cet article est destiné aux « maîtres d’application». Il est formé de deux parties de  longueurs très inégales :

1 Un exposé classique de la « Construction de P(E) », où sont expliquées la composition de l’ensemble des parties d’un ensemble, l’inventaire des opérations logiques, la structure algébrique qui en découle et la génération de ces opérations à partir de certaines d’entre elles.

i)        L’ensemble des parties d’un ensemble

ii)       Désignation des parties d’un ensemble, recherche d’un codage

iii)     Choix d’un système fondamental d’opérations dans P(E)  (pour les élèves)

Il inventorie quelques représentions de l’ensemble des parties (langue naturelle, représentation formelle, régions du plan, graphes sagittaux etc.) insiste sur la diversité des formulations qui peuvent exprimer chaque opération.

2. Une suggestion très schématique de leçon au CP, beaucoup trop difficile et inutilisable en l’état mais donnée comme base de réflexion (3 p)

Commentaire. Le point de vue adopté est clairement linguistique : de quoi s’agit-il, comment le dire (les démonstrations sont réduites au minimum). Il a pour objet de discuter le rôle des différents langages possibles dans l’introduction des concepts. On voit qu’il est envisagé l’introduction directe des concepts, sans référence à un langage canonique qui serait le moyen de le définir.

On peut remarquer tout de suite aussi que les représentations iconiques (genre diagramme de Venn), utilisées dans ce cours pour parler aux professeurs, ne sont pas envisagées comme des objets d’enseignement aux élèves, mais seulement – et au plus – comme des moyens provisoires de suggérer ce dont on parle. L’idée de ne pas passer par les formulations verbales trop ambiguës et trop multiformes est clairement énoncée.  Le choix se porte sur l’usage direct de l’écriture algébrique formelle.

La démonstration de la possibilité effective d’utiliser cette voie à l’école primaire sera donnée par le succès d’une petite suite de situations effectivement  expérimentées en 1973. Le compte rendu d’observation de cette expérience fait l’objet de l’article « P(E) Cours moyen 2) » présenté dans ce dossier. (document P(E) : les leçons 1973)

Pour les élèves de l’école maternelle (5-6 ans), la désignation des objets et des collections fera l’objet d’un curriculum bien connu, expérimenté pendant 25 ans, rapporté et étudié dans deux thèses (Jean Marie Digneau et Jacques Pérès)

Lire ou tĂ©lĂ©charger le document DĂ©signat des parties d’un ensemble 1970

Document c.  « Langages »

Ce document (19 pages) est extrait du « cahier de l’enseignement élémentaire des Mathématiques de l’IREM de Bordeaux n°9  (1970)

Résumé. Plan :

I.   Importance du langage Mathématique                                 2 p

II. Théorie des Langages formels                                             3 p

MonoĂŻde libre

Calcul sur les mots

Langages

III. 1er Exemple : Mouvements (de trains) sur un circuit    8 p

IV. 2ème exemple : P(E)                       6 p

Commentaire Ce deuxième article est aussi destinĂ© aux formateurs d’instituteurs. Il est construit sur le mĂŞme modèle que le prĂ©cĂ©dent, en deux parties : un cours et la discussion d’une situation Ă  prĂ©senter Ă  des Ă©lèves. Ici la première leçon, mouvements de trains, a effectivement Ă©tĂ© prĂ©sentĂ©e Ă  des Ă©lèves et des rĂ©ponses d’enfants sont rapportĂ©es. La seconde est une prĂ©paration de leçon sur P(E). Elle prĂ©figure celle qui sera expĂ©rimentĂ©e en 1973 (voir l’article P(E) les leçons 1973 dans ce dossier. Cet article semblera aride et formel au lecteur mais il s’agit toujours de prendre de la distance avec un usage trop naĂŻf du langage mathĂ©matique nouveau, afin d’éviter de le prendre pour l’objet principal du savoir Ă  enseigner. Les termes dĂ©signent des concepts que l’on doit pouvoir construire et faire comprendre sans le secours d’un langage trop sophistiquĂ© mais de façon Ă  ne rien cĂ©der sur le fond c’est-Ă -dire de dĂ©finir exactement ce que l’on dĂ©signe. Le terme « hippopotame » peut ĂŞtre enseignĂ© mais pas pour dĂ©signer un gros cheval. (A la mĂŞme Ă©poque, je dĂ©nonçais dĂ©jĂ  dans un autre texte l’utilisation Ă  l’école primaire du signe « « = », empruntĂ© Ă  l’algèbre mais utilisĂ© dans un sens trop particulier. Cette utilisation a crĂ©Ă© ce que j’identifierai plus tard comme un obstacle didactique, difficile Ă  effacer.)

Lire ou télécharger le document Langages 1970

Document d.  « P(E) les leçons »

Ce document (30 pages) est extrait du « cahier de l’enseignement élémentaire des Mathématiques de l’IREM de Bordeaux n° 14  (1973)

Résumé.

Cette série de 6 leçons est parmi les premières à avoir été mise en expérimentation au COREM (1972-1973). Les documents montrent les étapes de préparation qui l’ont précédé.

L’introduction insiste sur l’importance d’une bonne adaptation à leurs fonctions des différents langages utilisés avec les élèves au début de leur scolarité.

Par exemple, le rôle de la désignation est différent de celui la « définition », de l’explication ou de celui du calcul. La séquence est composée de 6 leçons proposées aux élèves du cours moyen 2ième année, prolongées chacune par des résolutions individuelles de « problèmes » ou d’exercices. Il s’agit de leur faire utiliser le langage symbolique de l’algèbre de Boole pour désigner diverses zones d’un quadrillage de 4 sur 5 ou plus qui représentent des variables du matériel Diénès. La situation est celle d’un jeu de communications entre groupes d’enfants puis entre 2 élèves. On trouve la liste des épreuves individuelles et des « contrôles » proposés au cours des séances. Ces « contrôles » permettent aux observateurs de constater ce que font les élèves, mais ne sont absolument pas des contrôles pour les élèves qui font ce qu’ils peuvent et laissent leur feuille sur la table. Ils ne mettent leur nom que s’ils le veulent et aucune de nos conclusions ne leur est communiquée. Le maître se contente de résoudre les problèmes avec les élèves.

Le rapport ne publie pas les résultats individuels des épreuves. L’enregistrement systématique des résultats des élèves était en cours d’organisation.

Commentaire

Le résultat  était très encourageant : les élèves s’étaient beaucoup impliqués dans l’utilisation de ces codages et les professeurs n’avaient éprouvé aucune difficulté à faire accepter le code. Le jeu de communication a eu un grand succès. Nous n’avons pas prolongé l’expérience. Ce langage formel n’étant nécessaire à aucun des enseignements que nous envisagions. Il s’agissait d’une expérience. Elle nous a conduits à conclure que l’usage du formalisme de Boole pouvait être enseigné comme moyen de désignation d’objets. Les fonctions logiques associées à ces désignations ne présentaient pas de difficultés notables, et le calcul sur les désignations qui aurait été l’étape suivante aurait demandé certainement un temps plus considérable, et la curiosité initiale aurait pu s’y être émoussée. Nous ne l’avons pas tenté. Plus tard, avec des techniques et des situations appropriées aux preuves et aux débats nous aurions pu le reprendre et faire ainsi entrer directement les élèves dans des démonstrations algébriques formelles. Je suis resté convaincu que les difficultés n’étaient pas dues aux élèves.

Lire ou télécharger le document P(E) les leçons 1973

Notes sur le dossier « Ensembles et parties d’Ensemble » 2011

Sur l’observation des classes

Avant le COREM (1964-1969)

Le CREM créé par le Centre Régional de Documentation Pédagogique a permis de constituer une équipe qui a pu concevoir et expérimenter un modèle d’une institution plus ambitieuse, un IREM au sein duquel un COREM s’occuperait de l’enseignement élémentaire (1964-1969). La clé de voûte du projet était un établissement primaire créé en symbiose avec un COREM où les conditions nécessaires à des observations à des expériences respectueuses des normes de l’enseignement et de la recherche scientifique seraient réunies et respectées de façon contrôlée. Dès que possible les chercheurs devaient établir ces normes et entrer en négociation avec les autorités académiques pour le choix et la mise en place de cet établissement.

Nous avons obtenu la permission de faire un essai avec l’école primaire annexe de l’école normale pendant l’année 1970-71.

A l’école annexe de l’Ecole Normale de Caudéran (1970-1971)

Le premier champ qui nous a Ă©tĂ© proposĂ© Ă©tait naturellement une Ă©cole annexe d’école Normale, c’est-Ă -dire une Ă©cole oĂą enseignaient des instituteurs chevronnĂ©s et reconnus pour leur compĂ©tence et oĂą ils transmettaient aux Ă©lèves instituteurs le meilleur de leur expĂ©rience par l’exemple. L’administration espĂ©rait qu’ils mettraient Ă  l’épreuve notre compĂ©tence et qu’ils jugeraient nos prĂ©tentions. Si nous Ă©chouions, nous serions discrĂ©ditĂ©s et nous ne pourrions jamais rĂ©aliser nulle part les expĂ©riences que je jugeais nĂ©cessaires. Mais si nous rĂ©ussissions trop bien, nous serions obligĂ©s de continuer nos travaux dans cette Ă©cole annexe, et je savais que cela nous confinerait dans des observations d’exercices isolĂ©s. Il fallait donc rĂ©ussir suffisamment pour obtenir le respect et la considĂ©ration professionnelle des collaborateurs qui nous Ă©taient dĂ©signĂ©s et les gagner Ă  l’idĂ©e que notre projet Ă©tait vraiment intĂ©ressant, mais qu’il ne pouvait pas se dĂ©rouler dans une Ă©cole dĂ©diĂ©e Ă  la formation des futurs Ă©lèves maĂ®tres. La charge de travail Ă©tait excessive si la recherche Ă©tait sĂ©rieuse. Je ne pouvais pas crier trop fort cette Ă©vidence car il Ă©tait vraisemblable que ce serait la seule proposition qui serait acceptĂ©e dans tous les dĂ©partements. Et il fallait convaincre les professeurs des Ă©coles normales de la rĂ©gion d’appuyer notre demande en leur montrant que nous pouvions irriguer leur travail par le rĂ©sultat d’expĂ©riences plus Ă©tendues que celles qu’ils pourraient faire. Et que nous-mĂŞmes espĂ©rions nous enrichir ensuite de leurs apports.

Je savais qu’il n’était pas raisonnable de demander à des formateurs de présenter à leurs élèves des dispositifs expérimentaux qui nécessitent une présentation spécifique importante et qui allaient demander des heures d’explications et d’analyse, et des modèles que ces jeunes gens devaient pouvoir reproduire dans leurs premières leçons en classe.

Les maîtres formateurs pouvaient parfaitement concevoir des leçons et des exercices démontrant que les élèves pouvaient apprendre à répondre à des questions qui illustraient l’usage de quelques « objets » emblématiques modernes. C’est ce qui se ferait partout. Ces morceaux de bravoure allaient envahir les revues, les manuels et l’espace scolaire. Mais aucun ne pouvait toucher profondément aux questions essentielles.

Les professeurs formateurs dans les Ecoles Normales Ă©taient chargĂ©s de prĂ©parer au BaccalaurĂ©at  les Ă©lèves maĂ®tres recrutĂ©s sur concours.  Choisis parmi les professeurs de lycĂ©e, la plupart d’entre eux – sauf quelques amateurs – ne contribuait guère Ă  la formation professionnelle des Ă©lèves maĂ®tres. La rĂ©forme leur donna soudain un travail important et passionnant et une meilleure place dans l’établissement. Beaucoup d’entre eux allaient Ă©crire des ouvrages de divulgation des connaissances mathĂ©matiques nouvelles … dont nombre d’entre eux Ă©taient assez anciens pour n’avoir jamais entendu parler de ces nouveaux contenus au cours de leurs Ă©tudes.

Pour les maîtres d’application, la question lancinante était « comment ces acquisitions s’articulaient-elles entre elles et avec les enseignements considérés comme essentiels : compter, calculer, raisonner ? Quel bénéfice compenserait le temps consenti à ces bagatelles ?

Ils acceptaient volontiers de faire une leçon de démonstration bien au point

Des chercheurs s’excitaient sur la recherche d’une preuve empirique que la pratique des mathématiques modernes favoriserait le développement de l’intelligence (en fait les épreuves d’intelligences semblaient directement inspirées par des exercices logiques ou rhétoriques proches de ceux qui faisaient l’objet des nouveaux exposés de mathématiques : Il est donc possible que le travail en classe sur les exercices de Mathématiques modernes ait amélioré les réponses aux test d’intelligence.

Tous les espoirs étaient fondés sur la croyance qu’il suffirait de substituer un « contenu » à un autre et de lui appliquer la méthodologie existante, indépendamment des querelles entre les écoles pédagogiques. J’étais convaincu du contraire.

à suivre :  Observations dans une école ordinaire dédiée à ces expériences (1971-1972) ;   La constitution du groupe Michelet (1973)


Sur les « mathĂ©matiques modernes »

Les nouveaux mathématiciens n’aiment guère évoquer cette période. Ils la portent comme une sorte de péché originel, le péché d’avoir voulu jeter un œil sur les mystères de la conception des mathématiques et d’avoir voulu « pervertir l’enseignement » de ses saintes écritures. Les plus ardents détracteurs l’ont caricaturée hardiment pour la stigmatiser auprès de leurs étudiants et effacer de leur mémoire cet épisode « honteux ». Il faudra bien, quelque jour, que de nouveaux « nouveaux mathématiciens » leur demandent enfin pourquoi ? Et que de hardis historiens rétablissent la vérité… pour l’honneur de l’esprit… mathématique.

Les textes que je republie aujourd’hui sont ceux que j’ai Ă©crits au cours de la première annĂ©e de l’IREM de Bordeaux, en 1970-1971. Les formateurs d’instituteurs d’Aquitaine, professeurs de mathĂ©matiques des Ă©coles normales, rĂ©unis en un groupe de l’IREM, Ă©crivaient des « cours » Ă  l’intention de leurs collaborateurs, les maĂ®tres d’applications, et essayaient de les illustrer par des exercices censĂ©s convenir Ă  des enfants – avec bien entendu des amĂ©nagements pĂ©dagogiques classiques – . Pour ma part, j’essayais de rĂ©soudre le problème de la mise en Ĺ“uvre de ce qui manquait entre les deux : quel rĂ´le Ă©tait dĂ©volu aux professeurs, qu’est-ce qu’ils devaient tirer de ces informations et des « exercices » qui les accompagnaient ?

La moindre subtilité mathématique, psychologique ou didactique demandait des explications qui ouvraient à chaque pas des abîmes. Les erreurs mathématiques que nous devions dénoncer étaient consubstantielles à l’enseignement parfois depuis des siècles. Elles étaient ancrées dans les pratiques et dans les esprits et notre discours de nature didactique n’avait aucune légitimité ni aucune base, ni théorique ni technique.

Pour appliquer leurs méthodes, les instituteurs devaient absolument connaître le « discours mathématique à enseigner aux élèves ». Par le jeu de leurs méthodes favorites, ils pensaient pouvoir alors en dériver les moyens d’enseignement habituels : exercices et explications canoniques, et obtenir ainsi les effets promis : compréhension, formulation standard, et résolution des problèmes.

Les nouvelles mathématiques se présentaient à leurs yeux comme une mise en forme du raisonnement logique, comme un inventaire de structures, mais qui ne s’illustrait que sur des mathématiques déjà là et qui ne s’éclairait qu’en les éclairant.

La genèse purement logique et axiomatique des objets mathĂ©matiques Ă©lĂ©mentaires telle que Bourbaki la proposait (dans son fascicule de rĂ©sultat de thĂ©orie des ensembles) ne pouvait pas ĂŞtre transposĂ©e sans perdre aussitĂ´t ses vertus spĂ©cifiques. C’est bien le jugement que ressassaient les opposants Ă  la rĂ©forme, et qui allait finalement « ressortir » progressivement et globalement, de la malheureuse expĂ©rience socioculturelle des mathĂ©matiques modernes. Non pas comme la conclusion nĂ©cessaire de l’analyse serrĂ©e des faits – il n’y a eu aucune enquĂŞte, aucune Ă©tude scientifique ni historique de cette rĂ©forme – mais comme le triomphe de la foi indĂ©fectible en une connaissance absolue que les mathĂ©matiques procureraient naturellement d’elle-mĂŞme, de leur propre genèse et de leur propagation.

Mais ce raisonnement n’est exact que dans la rhétorique didactique classique, celle qui s’appuie sur une organisation comtienne des sciences qui réduit la didactique à un simple discours sur la science ou même la dissout en elle : dans le Littré, tous les termes qui appartiennent une science sont dits « didactiques ». Il contient des failles et sa conclusion est erronée.

Tout le monde a cru qu’il suffisait de gagner la faveur populaire et l’appui du gouvernement pour déclancher une réforme, que l’autorité de l’administration et la compétence des acteurs suffiraient à la mener à bien pour peu qu’on leur apporte le savoir mathématique qui leur manquait. La même croyance persiste aujourd’hui, en négatif, lorsque le pouvoir politique attend ou feint d’attendre de la punition des acteurs de l’enseignement, la satisfaction de ses demandes.

Il est curieux de constater que cette surestimation s’est accompagnĂ©e d’un mĂ©pris Ă©vident pour la transmission des pratiques professionnelles des enseignants, et pour la riche littĂ©rature qui avait tentĂ© d’en cerner les dĂ©tails. Ce mĂ©pris se manifeste par la part de plus en plus rĂ©duite qui est dĂ©diĂ©e dans la formation des professeurs. Les maĂ®tres d’application sont portĂ©s Ă  aligner leurs propos sur ceux des universitaires qui se sont substituĂ©s Ă  leur encadrement traditionnel et pour cela Ă  choisir une discipline particulière, une technologie. Le culte effrĂ©nĂ© de « l’innovation », c’est-Ă -dire d’une idĂ©e courte, Ă©vidente, immĂ©diatement gĂ©nĂ©ralisable et que l’o dĂ©clare enfin efficace – quelle qu’elle soit – est la manifestation de ce mĂ©pris (Elle en est aussi une des causes la plus constante). La suffisance des mĂ©dias, l’outrecuidance des « reprĂ©sentants » de n’importe quel groupe d’intĂ©rĂŞts affirmant leur vocation et leur compĂ©tence Ă  dicter leurs volontĂ©s pour dĂ©terminer les contenus et les mĂ©thodes d’éducation, tout montre une sous estimation tragique de la complexitĂ© des phĂ©nomènes liĂ©s Ă  l’enseignement et participe au refus de considĂ©rer les questions de didactique comme relevant d’un savoir spĂ©cifique

Je n’ai jamais eu le loisir de revenir sur ces premiers pas et je livre naïvement les traces dont je dispose avec le désir de les commenter 41 ans après !

J’espère pouvoir mettre ensuite en évidence un certain nombre de causes ou au moins de circonstances et de les verser au dossier de ceux qui auront le courage de relever le défi d’analyser la première crise Didactique mondiale.

Enseigner le texte du savoir ou son objet ?

Il fallait distinguer les objets mathématiques de leur nom ou de leur signe.

Au baccalauréat, la psychologie était une partie de la philosophie qui ne figurait pas dans le programme des mathématiciens. Alors les mathématiciens interrogeaient leurs collègues philosophes et littéraires sur des questions de linguistique et d’épistémologie. Et ils découvraient ensemble qu’il y avait dans ces disciplines des évolutions qui semblaient reposer sur les mêmes remises en cause. Les instituteurs étaient apparemment soutenus par toute la communauté intellectuelle qui les enrichissait d’une nouvelle culture passionnante… mais qui les dépossédait complètement des moyens de convertir ces savoirs en décisions didactiques.

Nous reviendrons sur ces conditions qui ont déterminé la Didactique qui se révélait nécessaire et qui lui ont dicté son rôle et ses bases.

Par exemple, certains professeur demandaient « Expliquez nous les mathématiques que vous voulez, nous les mettrons en musique ! » Nous avons dû expliquer qu’un objet (mathématique) et que son nom étaient deux choses différentes, qu’un même terme pouvait désigner des concepts mathématiques différents etc. Mais cette explication n’était pas un savoir à enseigner aux élèves…  Les professeurs ne savaient pas quoi faire avec les conséquences pratiques de cette évidence.

-         « Appliquez avec nous les méthodes que vous pensez qu’il faut utiliser avec les élèves » disaient d’autres !

-         Non !  Vous n’êtes pas vos élèves et nous ne pouvons pas mettre en œuvre votre expertise. Les exercices et les problèmes étaient donc le meilleur moyen de communiquer les « objectifs » visés.

Mais nous n’avions pas encore acquis l’autorité de nos modernes politiciens et de leurs experts omniscients, celle qui nous aurait autorisé à recommander les vertus vicariales universelles du « tout par cœur » et du « débrouillez vous sinon la porte ! ». Nous étions face à des instituteurs bien formés, héritiers d’une tradition où Rousseau avait sa place et qui savaient eux les limites du par coeur (car ils en avaient pris leur dose eux-mêmes).

La détermination des connaissances mathématiques à enseigner demandait déjà un lot d’explications et des choix difficiles. Dire comment on pouvait les enseigner était un travail encore plus considérable, à supposer que nous sachions comment le faire. Dire pourquoi il fallait le faire ainsi plutôt qu’autrement aurait soulevé des discussions interminables.

Les enseigner était possible. Décrire cet enseignement par ceux qui l’avaient fait était déjà presque impossible car il fallait sans cesse se référer à des détails de navigation au milieu d’écueils inattendus. Décrire ces écueils et les expliquer sans mettre en cause les habituels échappatoires mettant en cause les vertus personnelles des acteurs était une tâche très difficile.

La meilleure solution que nous ayons trouvée a consisté à proposer des textes déclarés provisoires

- destinés aux « formateurs » (ensemble ou séparément) : à nous-mêmes pour nous enrichir et pour nous accorder, aux inspecteurs pour leurs journées pédagogiques, aux conseillers pédagogiques, aux maîtres d’application, aux auteurs d’ouvrages, etc.

- portant sur chacun sur l’activité d’enseignement d’un sujet mathématique précis

- mais n’hésitant pas à faire appel à d’autres domaines scientifiques, en particuliers la linguistique et la sémiologie, la psychologie, etc.

- tout en restant centrés sur un concept mathématique et en proposant des exercices et « des situations » concevables, puis plus tard utilisables et enfin expérimentés dans des classes.

Ces textes étaient complétés ou remplacés par d’autres au fur et à mesure de l’avancement de nos réflexions et de nos expériences. Les instruments divers, rhétoriques ou techniques, du travail spécifiquement didactique (les termes, les images les métaphore) passaient par les étapes décrites par la théorie des situations utilisés d’abord, formulés et reformulés, puis définis (provisoirement), illustrés, puis étudiés et soumis au travail scientifique.

Sur la réforme

Si la Didactique n’a pas été entraînée dans le « naufrage » médiatique de la réforme c’est peut être parce qu’elle était trop faible pour être distinguée parmi les prétendues erreurs que la nouvelle repentance devait répudier. Mais j’espère que c’est peut être aussi parce que, si elle avait, dès le début, accompagné les initiatives des novateurs et de leurs émules, elle n’avait jamais cessé de montrer les écueils qui résultaient de la reconduction des erreurs traditionnelles, aussi bien mathématiques que didactiques et pédagogiques, lorsqu’il s’agissait de transposer des notions nouvelles et qu’elle avait travaillé à proposer des alternatives.

La nouvelle génération s’est, non pas frileusement, mais avec superbe et assurance, repliée sur les pratiques les plus rétrogrades accompagnées des discours les plus dogmatiques sur l’enseignement. Le principe n’a pas changé, ni les prédicateurs, seulement la religion.

Il est vrai que les didacticiens ont opté pour une approche anthropologique respectueuse de leur objet d’études, les pratiques des professeurs, de préférence à l’action de « rénovation » enthousiaste et flatteuse, mais en fait prétentieuse et destructrice. Il est vrai que les expériences qui leur ont permis d’établir les fondements de leur discipline sont restées volontairement confinées. Il s’agissait de mesures prophylactiques destinées à éviter le renouvellement de mouvements aventureux. Alors que leurs instruments d’analyse et leurs connaissances s’affinaient, s’assuraient et se sophistiquaient à mesure qu’ils découvraient la complexité des phénomènes à gérer, leur capacité à les diffuser s’amenuisait. En même temps l’utilisation de ces connaissances par les professeurs devenait de plus en plus chimérique dans les conditions de travail et de formation qui leur était accordées.

Aujourd’hui, la distance entre les pratiques effectives, fondées sur des idéologies rudimentaires et sur des techniques étrangères au sujet d’une part, et d’autre part les moyens de leur analyse scientifique et de leur usage raisonné s’est beaucoup augmentée. Même la mise en œuvre de la didactique classique, appuyée sur trois siècles d’expériences professionnelles, ne peut plus avancer de solution compatible avec les conditions effectives créées dans cette fuite en arrière.

Un des arguments de la stigmatisation des mathématiques modernes a été l’usage du diagramme de Venn.

Je crois que sur cet exemple se sont concentrées trois ondes de choc : le projet d’une réorganisation de l’enseignement des mathématiques supérieures fondée sur les découvertes des grandes structures. Appelons-le « projet Félix Klein ». Ce projet se fonde sur une interprétation simplifiée de l’algèbre des propositions et des fonctions propositionnelles par la métaphore des ensembles de Cantor. Au début du siècle, cette réforme est à l’ordre du jour. Le paradoxe du Barbier n’a pas encore effleuré l’esprit de Bertrand Russel.  Elle se heurte à des résistances farouches fondées sur des conceptions et des querelles éculées.

La mise en forme et la systématisation du projet Klein se manifeste par l’apparition des nouveaux éléments de mathématiques et la mise en évidence de sa fécondité. L’ouvrage d’algèbre de Châtelet témoigne de la prolifération des termes voisins et des discordances des vocabulaires. Ce problème se résout assez vite car les mathématiciens du monde entier se réfèrent pendant un temps au langage de Bourbaki. Cet ouvrage didactique peut servir de base à la reprise du projet de Klein bloqué par deux guerres mondiales.

Mais la première moitié du vingtième siècle voit la logique mathématique et la connaissance du formalisme se développer de façon très brillante. Les problèmes des fondements des mathématiques sont brillamment éclairés par des démonstrations essentielles et il apparaît des résultats qui débordent les mathématiciens et des concepts qui inaugurent la théorie de l’informatique en gestation.

Ces trois ondes arrivent à maturité au moment où la communauté des mathématiciens passait aux actes avec la réforme des mathématiques.

Nous vivions depuis des siècles avec un patchwork de concepts mathématiques qui se déversaient sur l’éducation des élèves en couches géologiques mais dans leur état naissant.   Le projet de Cantor-Klein-Boubaki visait à lui substituer un discours « parfaitement organisé » et en principe « minimal » (dans un sens bien particulier, sans retour)

Les connaissances didactiques et épistémologiques qui auraient été nécessaires pour tempérer, corriger et mettre en œuvre ce projet étaient totalement absentes ou inappropriées. Les mathématiciens attendaient traditionnellement un tel apport de la psychologie (ex. l’épistémologie génétique devait se faire « psychologie génétique » et se confiner au niveau des individus).

La réforme de l’enseignement va ainsi pouvoir être attaquée sur tous ses flancs par des arguments de toutes sortes. Le discrédit jeté sur les mathématiciens puis sur les enseignants et enfin sur les recherches menées dans  les IREM (leur unique protection) va emporter non seulement la réforme mais surtout la cohésion de la communauté mathématique autour d’un projet humaniste et progressiste en faveur de l’éducation.

Les textes repris dans ce dossier témoignent de nos efforts pour utiliser divers procédés afin de développer, non pas un savoir formel et cumulatif SUR la logique, mais une pratique et un usage DE la logique, éventuellement formelle. Les métaphores ne sont pas des buts, des objets d’enseignement mais des moyes d’exprimer une pensée en situations,  de la faire pratiquer et d’éclaircir seulement les questions obscures et intéressantes.

Le lecteur pourra observer comment en une unique leçon ( voir l’article « P(E), la leçon ») qui avait beaucoup enchanté les élèves, nous avons pu les conduire à utiliser le formalisme de l’algèbre de Boole. La grille n’était pas un diagramme de Venn pompeusement introduit comme le  mystère de la science mathématique, c’était une grille pour jouer. L’important n’était pas les parties d’un ensemble, c’était les opérations définies sur elles.