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Réédition (2013) de Notions de mesures et nombres réels, L. Félix (1970)

Vendredi 18 octobre 2013   

A propos de la RĂ©Ă©dition, sur ce site,sous l’onglet:  L. FĂ©lix, oeuvres, de     »Notion de Mesures et Nombres RĂ©els[1] Lucienne FĂ©lix ».

résumé et commentaires de G.B.

C’est avec un grand plaisir et une émotion certaine que je propose aujourd’hui à la réflexion des amateurs de Didactique des Mathématiques, l’ouvrage que Lucienne Félix publia en 1970, à l’intention des professeurs du second degré, pour « introduire un problème fondamental : Explorer, expliquer, avant d’exposer les notions de mesure et de nombres réels ».
Cette publication veut être une source de réflexion à partir de laquelle ils pourront créer leur propre enseignement. Elle est typique des travaux didactiques de cette époque. L’auteure s’adresse à des professeurs de culture classique et ne veut pas le faire sur le modèle d’un cours classique de mathématique (axiomes, définitions, théorèmes, démonstrations). Elle veut présenter des perspectives modernes sur des concepts connus et les illustrer dans des contextes et par des situations proches de celles que pourrait explorer sans les définir un professeur avec ses élèves.

L’ouvrage est composé de deux parties : Dans la première, l’auteure introduit les notions de mesure d’ensembles, d’aires et de volume avec utilisant un langage formel moderne supposé « déjà-là ». Elle peut ainsi entrer directement  dans des « situations concrètes » pour justifier des propriétés et des définitions qu’elle réorganisera et n’exposera qu’au chapitre 4. Elle applique ici les enseignements didactiques de Lebesgue qui aimait fonder ses critiques de certaines conceptions classiques de l’intégration sur des considérations pratiques comme l’approximation de la longueur d’une route ou des techniques de comptabilité…

Permettre aux élèves, aussi souvent que possible, de comprendre et de justifier l’usage et l’expression d’un concept nouveau et placer les débats mathématiques qui le fondent avant sa réorganisation axiomatique et son exposition canonique est un projet fondamental de la théorie des situations mathématiques (on sous entend « à usage didactique » mais quel compte rendu de recherches qui ne serait pas didactique serait accepté ?).
Ce projet n’était pas compris à l’époque. Dans son compte rendu du livre[2], J. Štulc prend ses distances : « L’auteur utilise des mots, tels que par exemple la courbe, la limite etc., sans les définir, supposant une connaissance parfaite et précise de ces expressions de la part de lecteur ». Il n’est d’ailleurs pas sûr qu’il soit mieux accepté aujourd’hui.

Se réclamant d’une position épistémologique proche de celle des physiciens Lucienne Félix introduit des éléments généraux sur des mesures d’ensembles de dimension 1 ou 2 (Ch. 2). Ensuite elle aborde la question de la détermination effective des aires et des volumes, par décomposition finie puis par la méthode d’exhaustion sur plusieurs exemples classiques mais judicieusement choisis pour introduire des notions sur deux conceptions de l’intégration, celle de Riemann et celle de Lebesgue (Ch.3).

Le chapitre 4 montre une petite visite aux intégrales multiples et curvilignes et même une allusion aux probabilités, mesures d’évènements que Kolmogorov venait d’intégrer à la théorie de la mesure et en annexe deux petits ours, nouveaux dans la ménagerie de l’époque l’ensemble triadique de Cantor, la courbe de Peano, accompagnant un très vieil ours, une démonstration géométrique de l’irrationalité de Ö2.

La deuxième partie est une étude aujourd’hui très classique, en deux parties : les opérations dans les  réels absolus, et l’ensemble des réels relatifs dans leur approche par les décimaux (autre choix didactique fortement recommandé par Lebesgue).

J’ai d’autant plus de plaisir à présenter cet ouvrage qu’il me rappelle une période précise de ma vie, au moment où se forgeait le concept de « situations mathématiques » avec ses illustrations pour tous les grands secteurs des mathématiques de la scolarité commune à tous les enfants (5-14 ans à l’époque).  Depuis 1961, soutenu par mes conversations avec Lucienne Félix, je ferraillais à l’université pour comprendre la théorie de la mesure sous la direction de Jean Colmez, à absorber l’afflux des informations savantes véhiculées par la CEIAEM, et à construire, selon des principes pédagogiques et didactiques de ma façon, un curriculum moderne d’enseignement des fondements des mathématiques à l’école primaire au cœur desquels se trouvaient les notions de mesure et de nombres. La première page est un clin d’œil à mon livre de 1964[3] et à notre ouvrage didactique commun pour l’école maternelle[4] (1967-1972). Le dernier chapitre est le b.a. ba du sujet des futures expériences du COREM (1973-1999) sur les « Rationnels et Décimaux » (1986). Et déjà je critiquais – ce qu’elle acceptait bien volontiers, son introduction de la mesure d’évènements avec l’exemple d’un jeu de hasard.

Les conceptions didactiques et mathématiques de Lucienne Félix vont se montrer plus fermement et plus clairement dans les «  dialogues sur la géométrie, Dessi Mati Logi » qu’elle publiera l’année suivante. GB


[1] Lucienne FĂ©lix, Notion de Mesures et Nombres RĂ©els, Librairie Scientifique Albert Blanchard, 1970

[2] « Cette publication est adressée aux maîtres avec le but de leur servir comme une source de réflexion à partir de laquelle ils pourront créer leur propre enseignement. L’auteur utilise des mots, tels que par exemple la courbe, la limite, etc., sans les définir, supposant une connaissance parfaite et précise de ces expressions de la part de lecteur.

Dans la première partie de son travail l’auteur détermine l’ensemble des nombres réels et les opérations dans cet ensemble, sur la base de la mesure (longueur) de l’intervalle [0,1], et de la généralisation de cette mesure sur les intersections et les réunions des intervalles. Les mesures multidimensionnelles sont déterminées sur la base du replacement des intervalles par des carrés, des courbes, etc.  L’auteur présente une explication de deux méthodes différentes pour la détermination de la mesure multidimensionnelle: la méthode de décomposition finie et la méthode d’exhaustion. Dans la dernière partie l’auteur s’occupe de démontrer la définition de la mesure par les intégrales (les mesures n-dimensionnelles et p-dimensionnelles (p<n) dans l’espace n-dimensionnel). Dans la dernière partie l’auteur étudie l’ensemble des décimaux et les opérations algébriques.

[3] Guy Brousseau, 1965, Les mathématiques du cours Préparatoire, Dunod

[4] G. Brousseau, Y. Lamoureux, J. Marinières, L. Félix, 1972, Mathématique et thèmes d’activités, préparations et commentaires,  Classiques Hachette